Restaurant La Villa In The Sky par Alexandre Dionisio à Bruxelles
La Villa In The Sky, le restaurant perché dans sa structure toute de verre et d’acier, constitue l’un des cadres les plus extraordinaires de Belgique et probablement le plus impressionnant de Bruxelles. Le chef Alexandre Dionisio est installé dans un écrin luxueux, de jour comme de nuit, à la hauteur de sa cuisine.
Le style culinaire de La Villa In The Sky
Je me souviens de mon premier repas chez Alexandre Dionisio (à l’époque à la rue du midi dans le restaurant portant son nom). Quelques mois plus tôt Alexandre avait terminé demi-finaliste de la première saison de Top Chef. C’était le temps où la cuisine prenait moins de place sur les petits écrans et l’époque où le buzz culinaire n’existait quasiment pas.
La cuisine d’Alexandre Dionisio était déjà excellente. D’ailleurs, moins d’un an après son ouverture, il décrochait une première étoile Michelin et entrait au Gault & Millau avec 15/20 (une si haute note pour démarrer est peu fréquent).
J’ai donc suivi ce chef, qui me touchait déjà à l’époque. Au fil des ans, je l’ai vu évoluer, progresser pour atteindre maintenant le sommet. Encore qu’avec lui, je pense souvent que sa cuisine est à son apogée et puis, lors de mon repas suivant, je trouve encore que le niveau a progressé.
La cuisine à La Villa In The Sky a une âme. Elle a du caractère, elle est animée et elle est vivante. Les plats sont d’une précision diabolique et d’une perfection artistique. Tout est pensé et optimisé et surtout tout est parfaitement exécuté.
Alexandre Dionisio est un créateur, pas un copieur, qui tire une partie de son inspiration dans ses origines espagnoles. A chaque menu, il y aura d’ailleurs un petit clin d’oeil. Cette fois c’était le gaspacho en mise en bouche.
La fois précédente, l’influence espagnole s’exprimait avec le turbot breton rôti au beurre salé, chorizo, crème de lard, couenne soufflée. Un coup de coeur absolu : un plat à 20/20 et trois étoiles. La première force de ce plat était d’utiliser un produit noble dans une cuisson parfaite, servi très chaud (la marque des grands), en équilibre avec ses accompagnements et avec un jeu de texture qui apportait une réelle plus-value (le fond primant sur la forme).
Un dessert à base de légumes…What the fuck ?
En dessert sur ce menu, la Villa in The Sky proposait du céleri, fromage blanc, basilic.
L’intitulé n’est pas rassurant, encore moins pour l’amateur de délices sucrés (que je ne suis pas). On se trouve en effet devant un dessert à base de légumes !
Certes, c’est très tendance le légume (encore plus avec la montée en force des circuits courts, des vegans,…). Mais cuisiner un légume n’est pas si simple que cela : n’est pas Alain Passard qui veut. Cuisiner un légume au goût fort, comme le céleri, est un challenge encore plus compliqué. Et placer le légume au moment du dessert reste quelque chose d’osé que peu de chef tentent (pour avoir déjà goûté quelques « plantages » de chefs étoilés, je comprends d’ailleurs leur réticence). Alexandre Dionisio prend donc ici un risque maximum avec un challenge à sa hauteur. Prendre des risques, c’est bien….à condition de réussir derrière.
Au final, Alexandre Dionisio délivre une petite merveille. Ce dessert est un vrai petit bijou. C’est, à ce jour, le plus grand dessert de ma vie et c’est un plat du niveau des plus grands chefs. Si on me l’avait servi à l’aveugle en me disant que c’était Alain Passard qui l’avait cuisiné, j’aurais trouvé cela évident.
Les deux mots clés sont fraîcheur et précision. Précision car l’équilibre est remarquable avec un fromage blanc (et sans doute un soupçon de sucre) qui maîtrise à la fois l’amertume du céleri et sa puissance gustative. La fraîcheur est évidente, tout d’abord de par les ingrédients, mais ensuite par l’apport d’un granité de basilic déposé par dessus.
Les desserts trop sucrés en fin de repas assomment. Un tel dessert vous ravigote et vous donnerait presque l’envie de recommencer tout le repas. Et puis, c’est tellement dépaysant comme idée ! Beaucoup de clients se plaignent sur TripAdvisor de ne pas avoir été étonné, surpris, transporté. Je peux vous dire qu’ici les plus difficiles en auront pour leur argent.
La personnalité du chef Alexandre Dionisio
Alexandre Dionisio est un chef qui est resté accessible malgré les distinctions successives qui furent décernées à sa cuisine. C’est un chef qui passe parmi toutes les tables en fin de service. Je pense qu’il est important pour lui de prendre la température de la salle et de récolter les avis, constructifs ou pas.
Chaque chef aime dire qu’il fait « sa cuisine », c’est-à-dire une cuisine qui est le reflet de lui-même. Pour les fans d’Harry Potter, on pourrait comparer cela à un horcruxe de Voldemort (le terme Horcruxe désigne tout objet dans lequel une personne a dissimulé une partie de son âme). Mais, concrètement, beaucoup de cuisines se ressemblent. Heureusement, il y a ici et là des chefs à l’identité forte et qui se démarquent.
Je suis maintenant convaincu qu’Alexandre Dionisio a trouvé son identité à La Villa In The Sky. Il y impose son style explosif, équilibré et d’un subtil raffinement. Car tout l’art est là : réussir à faire oublier les ingrédients, développer une harmonie de saveurs où rien ne dépasse si ce n’est la plénitude de la composition d’ensemble et surtout d’arriver à faire en sorte que chaque bouchée soit une petite explosion en bouche.
Deux autres plats de La Villa In The Sky
Quand la première entrée de La Villa In The Sky est « Tomates cerises, crevettes grises, burrata, kéfir limes », je me dit : « Ok Alex, tu commences logiquement par une entrée froide toute en fraicheur. Mais franchement, pour un 2*, tu n’as pas mieux qu’une tomate-crevette revistée ? « . Le visuel n’est pas non plus le plus attrayant qui soit.
Et puis boum : la bouchée est une explosion de saveurs. Il y a une concentration incroyable du goût. Tous les aprioris s’envolent et on comprend pourquoi on est dans un des (si pas le) meilleurs restaurants de Bruxelles.
Une autre caractéristique de la cuisine à La Villa In The Sky est la prise de risque. J’en ai parlé sur le dessert mais elle se manifeste régulièrement. Par exemple, est-ce que vous vous souvenez d’un restaurant étoilé où on vous a servi un plat piquant ? A mon avis non. Moi pas en tout cas. Parce que, tout simplement, le piquant dérange une partie de la clientèle et qu’un business man cherche à plaire au plus grand nombre. Or, s’il est bien dosé, le piquant apporte une dimension au plat car, une fois le piquant passé, d’autres saveurs se développent derrière. C’est tellement peu courant en gastronomie étoilée que cet apport, parfaitement dosé comme ici, se perçoit quasiment comme une innovation.
A la Villa In The Sky, Alexandre Dionisio a intégré la saveur piquante dans la Raviole, coques, moules, piment, ails frits. Je pense que c’est le genre de plat, explosif bien entendu, qui pourrait faire changer d’avis pas mal de personnes sur cette saveur. Encore un pari très risqué mais quel bonheur ! C’est un plat qui ne plaira pas à tout le monde. C’est un plat que tout le monde ne comprendra sans doute pas. Personnellement, je ne peux que remercier le chef de me l’avoir servi et j’espère qu’il continuera longtemps dans cette lignée.
Deux étoiles Michelin, cela ne paralyse pas
On aurait pu avoir peur que la deuxième étoile ne paralyse Alexandre. Car cela arrive plus fréquemment qu’on ne le pense : la peur de perdre un des fameux sésames se transformant alors en un immobilisme malsain. Mais, à La Villa In The Sky, c’est plutôt l’inverse qui se passe. On dirait qu’Alexandre Dionisio a reçu sa deuxième étoile comme un encouragement sur la voie de l’excellence. Du coup, il se libère, entreprend, étonne…..du piquant, des légumes dans le dessert,….jusqu’où Alexandre Dionisio ira-t-il ?
Sarah, maîtresse des vins à La Villa In The Sky
Au niveau des vins, Sarah Lacour est juste parfaite. Tout d’abord Sarah est une vraie passionnée et elle le revendique. Elle a des coups de coeur et aime les faire partager. Elle aime aussi découvrir le vigneron qui est derrière chaque vin. Tout comme moi, elle apprécie que le vigneron ait une personnalité aussi intéressante que les vins qu’il propose. Cela m’est déjà arrivé plusieurs fois de ne plus avoir envie de boire un vin après avoir rencontré celui qui le faisait. Boire et apprécier un vin, c’est souvent un ensemble qui dépasse le contenu du verre.
Elle n’est pas non plus une suiveuse de mode. Beaucoup de sommeliers se tournent vers les vins natures. Or faire un grand vin nature est une chose très compliquée, bien plus compliquée que de faire un vin en conventionnel. Tout n’est pas bon dans les vins natures, c’est clair pour les spécialistes. Sarah déclare donc qu’il faut bien sélectionner ses vins natures, qu’il y en a des très bons mais elle ne supporte pas les déviances qu’on essaie de faire passer pour l’expression du terroir : « un grenache oxydé goûte la même chose en Espagne ou en France ».
Il y a quinze jours, je mangeais chez Paul Bocuse, trois étoiles Michelin. La cuisine était toujours à son niveau d’antan mais le service du vin fût catastrophique : la succession de tout ce qu’il ne faut pas faire. A La Villa In The Sky, ce fût tout l’inverse. Comme quoi on devrait peut-être donner des étoiles à part pour le service du vin et on en donnerait trois à la Villa In The Sky.
Tout d’abord Sarah est très attentive à la température de service du vin. C’est vrai que c’est un sujet sur lequel je suis très pointilleux et Sarah le sait probablement. Mais entre le savoir et savoir le gérer, il y a une fameuse marge. Il ne s’agit pas simplement de servir les vins aux températures habituellement admises et de les garder à cette température tout au long du repas. Il faut s’adapter. Un vin riche et jeune, comme le châteauneuf-du-Pape blanc (Vieux Télégraphe 2016) que nous buvions s’exprime mieux quand il est légèrement contenu par une température de service un rien plus basse que d’habitude. Sarah le sait…et Sarah sait l’appliquer.
Même chose sur le vin rouge. Beaucoup de sommeliers aiment faire le show. Si l’étiquette est belle (comprenez qu’il s’agit d’un vin plutôt bien côté et d’un certain prix), l’envie est forte de le passer en carafe à table pour en imposer au client. Mais Sarah ne cherche pas à se mettre en avant : elle cherche simplement à faire son travail au mieux. Elle a donc goûté le Beaucastel 2009, a estimé qu’il ne devait pas s’aérer en carafe. Et puis, elle nous l’a expliqué, nous a fait goûté le vin et nous a demandé ce que nous souhaitions en faire. Elle avait raison et on a bien entendu suivi son conseil.
Enfin Sarah est une personne qui a toujours le sourire, quelles que soient les circonstances. Pas un sourire de façade mais le sourire de quelqu’un qui aime son métier et qui aime partager autour du vin. C’est le rayon de soleil qui illumine le ciel de La Villa In The Sky.
Le prix des vins à La Villa In The Sky
On me dira, et à juste titre d’ailleurs, que la carte des vins est fort courte (4 pages). Je suis d’accord. Mais il y a une bonne raison : La Villa In The Sky tient sur quelques mètres carrés et il n’y a pas la place pour une grande carte des vins. Sarah est donc contrainte de procéder à une sélection drastique et contrainte d’essayer d’avoir des vins pour tous les goûts. Il n’en demeure pas moins que sa sélection est intéressante et elle balaie plusieurs pays.
On pourrait aussi me dire que les vins ne sont pas donnés. Les prix sont environ X4 par rapport au prix particulier départ cave en ce compris sur les grandes bouteilles mais on peut, en cherchant bien, trouver des X3.
C’est un fait : l’exception de La Villa In The Sky a un prix qui se paie au niveau des menus et des vins…tout comme les autres maison multi-étoilées d’ailleurs.
L’ambiance à la Villa In The Sky
On est dans un deux étoiles Michelin et on est au sommet d’une des tours les plus hautes de Bruxelles avec une vue à couper le souffle. Il y a, autour du restaurant, deux terrasses. Le temps est sec et chaud et Bruxelles brille de mille feux. L’envie est forte de sortir prendre l’air entre deux plats.
Lors de ce repas, j’ai eu plaisir à constater que la plupart des convives sont sortis à un moment ou à un autre. L’ambiance à La Villa In The Sky n’est pas guindée. On se sent privilégié dans ce cadre élitiste mais on ne se sent pas oppressé. Je trouve que permettre à tout le monde de sortir dehors, cela complique certes le service en salle. Mais c’est un petit moment de bonheur pour les clients.
En conclusion
Tous les foodies attendent impatiemment qu’un second restaurant trois étoiles Michelin arrive en Belgique. Il y a sûrement de fameux candidats en Flandre mais je connais peu cette région. Par contre, si on parle de Bruxelles et Wallonie, je la connais relativement bien. Jusqu’il y a peu, il me semblait qu’il y avait un restaurant qui se détachait des autres pour l’obtention de ce fameux troisième sésame : Bon-Bon. Après ce repas à La Villa In The Sky, mes certitudes sont ébranlées. Il me semble qu’ils sont tous les deux dans la course maintenant et on ne peut que se réjouir de voir le niveau global de la gastronomie belge progresser sans cesse.
Personne ne niera qu’un tel repas, c’est un budget. Certes ! Mais ce n’est pas cher en regard du moment exceptionnel qu’on passe. Quand on mange à ce niveau avec un cadre si impressionnant, l’expérience prime et le montant de l’addition, au final justifié, est vite oublié. On en ressort plus riche d’une expérience, plus riche d’un souvenir, plus riche de la sensation d’avoir passé un moment hors norme.
En additionnant le talent d’Alexandre Dionisio, les vins de Sarah Lacour et le cadre exceptionnel (merci Mr Litvine), on ne peut que reconnaître une chose : on est au sommet de la gastronomie belge, la tête dans les étoiles et le souvenir de ce repas va persister longtemps dans ma mémoire. Ce repas fût un moment hors du temps, une balade dans le paradis terrestre.
Le proverbe dit « The sky is the limit »…..mais Alexandre nous démontrera peut-être le contraire…
LIEN
LOCALISATION
Menu à la Villa In The Sky
Deux mises en bouche dont l’oeuf de caille frit et coulant, lard de colonnata
Suite des mises en bouche : foie gras de canard, anguille fumée, herbes fraiches
Troisième mise en bouche
Gaspacho Andalou et sa croûte de pain
Tomate cerise, crevettes grises, burrata, kéfir limes
Langoustine, foie gras, radis, chou-fleur
Raviole, coques, moules, piment, ails frits
Poularde, petits gris, mousseline, girolles
Grevenbroecker, pain d’épices, prune
Céleri, fromage blanc, basilic
Fraise, Raifort
Mignardises
Mignardises
Pour terminer
PHOTOS
D’AUTRES REPAS
15/10/2016: https://www.passiongastronomie.be/2016/10/restaurant-lavillainthesky/
14/11/2015: https://www.passiongastronomie.be/2015/11/villa-in-the-sky-2/
12/05/2015: https://www.passiongastronomie.be/2015/05/villa-in-the-sky/
24/06/2015: https://www.passiongastronomie.be/2015/06/villa-in-the-sky2/
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