Restaurant La Villa Lorraine à Bruxelles
Tradition, passion et excellence. Ce sont les maîtres-mots qui me viennent à l’esprit pour qualifier le restaurant La Villa Lorraine. Je dis bien pour le restaurant, dans son entièreté, et pas uniquement la cuisine que Gary Kirchens y développe. Une soirée dans cet établissement au passé mythique (il fût le premier restaurant trois étoiles Michelin hors de France entre 1972 et 1984) se range définitivement au rayon des expériences et pas à celui des simples repas, aussi bons puissent-ils être.
L’accueil et l’apéritif à la Villa Lorraine
Dès l’arrivée, l’accueil du voiturier de La Villa Lorraine indique le niveau. Vous pouvez laisser vos soucis sur le pas de la porte : on va s’occuper de vous du début à la fin, vous chouchouter, vous dorloter. Les sourires continuent d’ailleurs à l’accueil. La Villa Lorraine fait partie de ces rares restaurants où une hôtesse est dédiée spécifiquement et uniquement à l’accueil. Le sens du détail règne ici.
La Villa Lorraine se démarque aussi sur le choix des apéritifs. Un salon à l’entrée, avec un bar bien achalandé, permet de déguster un cocktail classique, comme le Hugo ci-dessous, ou un cocktail confectionné sur mesure.
Le cadre de la Villa Lorraine
J’ai déjà entendu beaucoup de choses à propos du cadre du restaurant La Villa Lorraine. C’est rarement mitigé : on adore ou on déteste. Je fais partie de la première catégorie.
Je trouve que le cadre est raffiné et luxueux. D’ailleurs, impressionné par ce dernier, j’y porte toujours un costume. Non pas par obligation (je pense que cette règle fait partie du passé) ni par peur mais simplement pour faire preuve de respect par rapport à l’ambiance « gentleman » et d’excellence qui y règne.
Le service à la Villa Lorraine
Le service de La Villa Lorraine est également l’incarnation de l’excellence : précis, souriant, bienveillant (mais pas trop) et efficace. En quelque sorte, le service est la prolongation de ce raffinement subtil qui décrit si bien la Villa Lorraine. Cédric, maître d’hôtel depuis quelques années (et passé par d’autres belles maisons comme Bruneau ou le Chalet de la Forêt), gère de main de maître ses collaborateurs de salle. Le niveau est tel qu’il me rappelle ma référence du genre : le Sea Grill et Fabrice D’Hulster.
Cela peut prêter à sourire. Certains penseront qu’on ne va pas au restaurant pour le service en salle. C’est vrai mais c’est négliger un facteur important. Le moment que l’on passe n’est vraiment exceptionnel que lorsque la plus petite de ses composantes l’est ! Chacun et chacune a son rôle à jouer et ce n’est que lorsque chacun donne le meilleur de lui-même qu’on atteint l’excellence.
Les vins à la Villa Lorraine
La carte des vins est élitiste. C’est le mot qui me semble le plus adapté.
On trouve des vins exceptionnels, beaucoup de vins exceptionnels. Je pense même que c’est sans doute la carte des vins la plus riche de Bruxelles.
Cet extrait de la carte est un bon résumé : on trouve ce qui se fait de mieux dans le genre (DRC), on trouve des millésimes plus anciens et on trouve quelques vins plus « entrée de gamme ».
Mais, hélas pour un amateur de vin au budget modéré (comme moi), les prix sont à la hauteur de la qualité de la carte : entre X4 et X5 comme par exemple sur le Chardonnay de Carillon qui est vendu 14 euros environ en Belgique. Ce coefficient ne descend guère quand on parle de plus grandes bouteilles.
C’est une remarque que j’ai émise sur place. Je pense que je ne fus pas le seul à la faire car la nouvelle sommelière, Joy, est en train de revoir les prix avec, dans l’idée, de rendre les grandes bouteilles plus accessibles. Pour un oenophile, cela serait le bonheur.
La Villa Lorraine est un paquebot qui nécessite un équipage important et qualifié. Les coûts de fonctionnement sont donc importants et ces coûts se traduisent dans les prix. Mais la volonté affichée de les recalculer au plus juste (et vers le bas) est une initiative qui mérite d’être saluée.
La sommelière à la Villa Lorraine
La sommelière Joy Scanianski a remplacé Antoine Lehebel en avril 2018. J’ai entendu la conversation à la table voisine. Elle expliquait, avec des mots justes et précis, les différences entre deux bouteilles afin d’aider les clients à faire leur choix. Joy leur a donc expliqué, sans être trop technique, les différences fondamentales. Nul doute que, suite à ses explications, il était bien plus facile de faire un choix en adéquation avec ses goûts. C’est cela qu’on attend d’un(e) sommelier(e).
Etant deux à table, Joy nous a orienté en début de repas vers quelques vins au verre parmi sa carte.
La sélection des vins
Son premier vin, le silvaner allemand « juwel » était parfait pour démarrer le repas : un nez délicat de rose et une bouche fraîche et bien faite. C’est parfait pour accompagner les crevettes obsiblues (crues) en première entrée.
Le second vin était un vin hongrois vinifié par Vega Sicilia. Sur ce vin, on retrouvait la marque de fabrique de ce grand domaine espagnol avec une structure en bouche nettement plus riche. C’est tout à fait ce qu’il fallait pour accompagner un poisson et une sauce.
Mais, et c’est là que se situe la complexité, que peut-on encore servir comme vin blanc après un vin d’une telle puissance ? A mon sens pas l’aligoté de chez Pataille que Joy avait prévu. Car, aussi bon que puisse être ce vin bu seul ou en début de repas, il ne peut que paraître plat servi à ce moment. D’autant que, facteur compliquant encore plus la chose, la cuisine avait continué son crescendo avec des plats plus puissants gustativement parlant.
Je pense qu’il ne faut jamais hésiter à partager son ressenti. Joy n’était plus là mais Cédric a compris mon désarroi. Il a réagi de suite en proposant un autre vin. Le challenge était tout aussi compliqué pour lui : passer après le Furmint hongrois de Vega Sicilia reste compliqué. Mais il a, à mon sens, choisi la meilleure des pistes : trancher en partant sur un vin aromatique avec un Sancerre de chez Henri Bourgeois. C’est bien joué et c’est une bien belle manière de s’adapter aux clients. Car finalement, peu importe si c’est le client ou le sommelier qui a raison : quand on peut s’adapter aux goûts du client, c’est toujours mieux de lui faire plaisir.
Gary Kirchens, chef de la Villa Lorraine
Depuis que je connais La Villa Lorraine, j’y ai croisé plusieurs chefs : Alain Bianchin (le phoénix) et puis Maxime Colin. Depuis quelques années, c’est un jeune chef, Gary Kirchens (31 ans), qui est aux commandes.
Je savais déjà que le propriétaire des lieux, Serge Litvine, avait la plus haute estime pour Gary. Venant d’une personne qui a fréquenté un si grand nombre de grandes adresses, c’est un beau compliment. Après trois repas à la Villa Lorraine, je le rejoins. Gary Kirchens fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise qu’on ne soupçonnerait pas chez quelqu’un de si jeune. Je ne dirais plus qu’il a du potentiel : je dirais qu’il figure déjà parmi ces grands chefs dont certains plats me procurent une grande émotion.
Alors certes, je pensais bien faire un très bon repas à La Villa Lorraine. Mais je suis étonné car il a surpassé mes attentes pourtant élevées et cela est loin d’être fréquent.
La cuisine de Gary Kirchens
Tout d’abord, et je ne le répèterai jamais assez, il n’y a pas de grande cuisine sans produits d’exception. A la Villa Lorraine, on sert des crevettes. Si vous souriez, c’est que j’ai réussi ma figure de style. J’ai en effet omis de préciser que ce sont des crevettes obsiblues. L’obsiblue est une espèce de crevette rare et naturellement bleue. Sa couleur est celle des eaux turquoises et cristallines dans lesquelles elle est élevée. La mâche, plus ferme en bouche, est unique. Servie crue (ce qui est recommandé) avec bonite, raifort et coriandre, l’entrée en matière est réussie pour aiguiser les papilles gustatives.
La suite du menu fera la part belle à d’autres produits d’exception plus classiques comme le Saint-Pierre, turbot, caviar, dos de chevreuil,… comme ici avec le turbot, caviar Baeri, salicornes et coquillages.
Les assaisonnements sont également remarquables : rien ne doit être retouché et il y a en permanence une pointe de peps et de la fraicheur dans les plats.
Mais ce qui est le plus remarquable dans la cuisine de La Villa Lorraine, c’est la finesse des accords. Les saveurs sont subtilement dosées. Chaque produit reste identifiable mais aucun n’est dominé ou dominant. On n’est ni dans la force ni dans le démonstratif. Gary Kirchens travaille plutôt dans la juste retenue et dans une précision qui transcende. C’est vraiment du grand art du début à la fin, le genre de niveau qu’on ne croise que parmi l’élite.
Que vaut la cuisine de Gary Kirchens ?
Les critères de Michelin sont vagues, volontairement je pense. Et chaque gastronome a son idée concernant ce qu’il faut pour une, deux voir trois étoiles. Mon expérience me pousse à considérer les trois critères suivants comme conditions d’obtention pour deux étoiles :
- une température de service élevée. Le plat doit avoir la bonne cuisson (des cuissons souvent peu poussées dans la tendance actuelle) mais la température de service doit être élevée. C’est toute la complexité : il ne faut pas du tiède, il ne faut pas du chaud. Il faut du très chaud sans être trop cuit !
- les mises en place ne doivent absolument pas se ressentir. On doit avoir l’impression que tout a été confectionné à la minute, que l’on parle de la cuisson du produit principal jusqu’à la petite tuile décorative.
- un équilibre dans les associations.
Ces critères, auxquels je deviens de plus en plus sensible au fil de mes pérégrinations, sont atteints à la Villa Lorraine.
Pour le trois étoiles, je rajouterais qu’il faut une identité et une identité construite autour de son terroir. Cela donne d’ailleurs parfois des plats que je trouve monotone, voir consensuel. Certains plats de Gary Kirchens m’ont procuré bien plus d’émotions. Ce qui m’a amené à dire au chef qui faisait son tour de table en fin de repas, que certains plats sont des trois étoiles dans mon coeur.
Les meilleurs plats à la Villa Lorraine
La cuisine de Gary Kirchens vole en haute altitude. Ma propension naturelle me porte toujours vers le turbot, langoustine,…. et, pour les avoir goûté, ces classiques sont remarquablement bien exécutés. Mais où j’ai été le plus impressionné, c’est sur trois plats que jamais, oh grand jamais, je n’aurais commandé à la carte.
Le premier plat est un plat végétarien : butternut, sauge, ricotta, salsifis. Je n’ai rien contre les végétariens, végétaliens et consorts (chacun ses goûts après tout) mais je trouve que rien ne surpasse un bon poisson ou une bonne viande. Il y a certes des élites, comme Alain Passard, qui peuvent vous sublimer les légumes. Mais n’est pas roi des légumes qui veut et, même dans un restaurant une étoile, ce n’est pas un risque que j’ai envie de courir.
Ma surprise fût donc grande. D’autant que c’est, dans mon souvenir, la seule fois où je commence à déguster en pensant « bof » et que je termine en me disant « J’en veux encore ! ». Ce plat explose littéralement au fur et à mesure des bouchées. Au début le butternut semble un peu plat mais, au fur et à mesure des bouchées et en piochant bien un peu de tout (dont la très remarquable tempura salée à perfection), les arômes commencent à exploser. La sauge apporte une base au plat, base sur laquelle les autres ingrédients construisent leur édifice gustatif en harmonie avec leurs voisins. Ce plat est un feu d’artifice qui se termine en apothéose par un bouquet final incroyable.
Le foie gras version Gary Kirchens
Le second plat que je n’aurais jamais commandé est le foie gras de canard, pomme, citron vert, gingembre. Car le foie gras est ce qu’on me sert le plus souvent au restaurant (ce que montre d’ailleurs le nuage de mots clés des produits que je déguste au restaurant). Au plus grand est le mot, au plus souvent le plat me fût servi. Le foie gras, j’en ai limite marre. Mais, à la Villa Lorraine, on me l’a servi comme on ne me l’a jamais servi : avec un laquage qui le sublime. Il y a une vivacité et une acidité très marquée dans ce laquage au gingembre et cela permet d’atteindre un équilibre rarement atteint avec un produit « gras ». Ce plat n’a l’air de rien mais chaque bouchée s’avère explosive : ça pétille littéralement sur la langue.
Le lièvre à la royale
Le troisième plat est le lièvre à la royale. Ce plat est sans doute le plat le plus à la mode de ces deux ou trois dernières années. On commence à le trouver dans énormément de restaurants. J’ai déjà goûté plusieurs versions (Chez Bruneau, Au Stirwen,…) et c’est un plat que je n’apprécie pas car je le trouve trop fort en goût. Il faut dire que la recette originelle nécessite de lier la sauce au sang. Mais la version de la Villa Lorraine est plus légère. On conserve bien entendu le lièvre, le goût plus marqué de ce gibier et la texture de la recette originelle (on se souvient que cette recette est apparue suite au désir du roi Louis 14 de manger du gibier alors que l’état de ses dents ne le lui permettait plus). Gary Kirchens a réussi à trouver une version plus digeste, plus gastronomique et moderne mais sans pour autant dénaturer les fondements de la recette. C’est sans doute la plus belle version que j’ai dégustée.
Les desserts à la Villa Lorraine
Combien de repas ne se terminent-t-il pas sur une note de « bof » ? On mange de très bons plats et puis le dessert, simple et un peu imprécis, fait retomber le niveau. Ce n’est pas illogique : on ne peut être à la fois un grand chef et un grand pâtissier. C’est pour cela que, à la Villa Lorraine, il y a un chef pâtissier : David-Alexandre Bruno. Et, je vous l’assure, il permet de finir en beauté un repas avec son chocolat, crémeux Caramélia, amandons de Cazette, sorbet Manjari. Quel travail et quelle précision ! Un délice sucré, mais pas trop. Juste ce qu’il faut !
Conclusion
La Villa Lorraine, longtemps belle endormie et oubliée, est revenue à son plus haut niveau. Ceci était mon troisième repas avec Gary Kirchens en cuisine. Il confirme mes premières impressions : l’excellence est le maître-mot. Si vous ajoutez à cela le cadre prestigieux et chargé d’histoire, une carte des vins riche et un service haut de gamme, on nage en plein bonheur. Et il y a, ultime touche inimitable à La Villa Lorraine, ce petit supplément d’âme que seule une histoire riche peut apporter.
Je reste un fan de cette Villa Lorraine que je maintiens dans mon top 10 des favoris.
Lien vers le site web du restaurant
Localisation
Menu
Mises en bouche :
– Royale de foie gras, anguille fumée, sablé breton
– Cromesqui de pieds de cochon
– Pizza soufflée à la crème de champignons
Mise en bouche : carpaccio de poulpes, betteraves, vinaigrette
Silvaner « Juwel » 2017 de Juliane Eller – Allemagne
Seconde mise en bouche : bonbon de saumon
Crevette obsiblue, bonite, raifort, coriandre
Butternut, sauge, ricotta, salsifis
Couteaux de mer, beurre aux algues, vin jaune, nori
Foie gras de canard, pomme, citron vert, gingembre
Turbot, caviar Baeri, salicornes, coquillages
Saint-Pierre , avocat, encornet
Lièvre à la royale, chanterelles, châtaignes, airelles
Dos de chevreuil, pommes fondantes, betterave, sauce grand veneur
Dessert autour de la poire
Le chocolat, crémeux Caramélia, amandons de Cazette, sorbet Manjari
Madeleine et mignardises
Photos
D’autres repas
09/02/2017: https://www.passiongastronomie.be/2017/02/restaurant-villa-lorraine-bruxelles/
27/05/2015: https://www.passiongastronomie.be/2014/05/restaurant-la-villa-lorraine-bruxelles/
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