Restaurant L’Arpège d’Alain Passard à Paris – 3 * Michelin – Toque d’or au Gault & Millau.
Il y a environ 18 mois, j’avais eu la chance de pouvoir aller manger chez Alain Pasard. J’ai bien écrit chez Alain Passard et non pas au restaurant L’Arpège à Paris. Il ne s’agissait ni plus ni moins qu’un repas dans son domaine du Bois-Giroult. L’expérience était extra-ordinaire et le chef, Alain Passard, charismatique et accessible. Mais je me demandais toujours s’il existait une différence entre la cuisine de Bois-Giroult et celle de l’Arpège (3* Michelin). Ce genre de question ne peut rester éternellement ouverte et, 18 mois plus tard (et le budget remis à flot), l’heure de la réponse avait sonné. Direction le 84 rue de Varenne à Paris !
Un repas dans un restaurant tri-étoilé Michelin n’est pas donné. Alors il faut en profiter un maximum afin de ne rater aucunes des subtilités de la cuisine du chef. On peut bien évidemment venir découvrir un chef sans connaître son parcours et très bien en profiter. Mais il y a mieux : lire un livre sur le chef avant son repas. C’est ce que j’avais fait avec cette bande dessinée dédiée à l’Arpège et Alain Passard. Ca se lit vite, c’est agréable et vous vivrez encore plus intensément votre repas après l’avoir lu. D’autres livres, plus classiques, existent aussi.
Le cadre de l’Arpège, restaurant d’Alain Passard à Paris
A Bois-Giroult, on est chez Alain Passard, au milieu de ses potagers et en face de la cheminée qu’il utilise pour rôtir. Le lieu, vert au possible, est magique et tranche radicalement avec la grisaille parisienne et les mètres carrés limités inhérent aux métropoles. Le service y est cool et les assiettes très épurées, allant à l’essentiel.
A L’Arpège, par contre, c’est l’élégance d’un restaurant trois étoiles parisiens. C’est plus petit, plus serrant et fort animé par une brigade impressionnante. C’est donc le cadre d’un grand restaurant gastronomique. Le service est moins décontracté, le poids Michelin et la clientèle y étant pour beaucoup j’imagine. Mais, pour dire vrai, je m’attendais à plus précisions dans le service en salle pour un restaurant de ce niveau.
En ce qui concerne la cuisine du chef Alain Passard, elle est en fait très proche que l’on soit à L’Arpège à Paris ou chez lui à Bois-Giroult. La différence est peut-être que celle de l’Arpège est plus affinées et plus soignée. Mais le reste est le même : la qualité des produit et la patte du chef.
Les légumes, cet or végétal au coeur de l’Arpège
La cuisine d’Alain Passard est unique tout d’abord parce qu’elle met les légumes en avant. Les légumes sont revenus fort à la mode, parfois avec des philosophies très poussées (on pensera aux vegans) mais Alain Passard était un précurseur. On pourrait craindre une cuisine minceur, peu gouteuse, du genre de celle d’un Gérald Passédat au Petit Nice (3*) à Marseille. Mais il n’en est rien. Alain Passard démontre, à travers sa cuisine, qu’on peut faire des plats savoureux et goûteux sans viandes ni poissons. Après, selon les goûts de chacun, on rajoutera ou non une pointe de sel pour le peps.
Il y a, bien entendu, des règles à respecter pour maîtriser une telle cuisine. Il faut tout d’abord travailler les légumes de saison. Jamais on ne verra à L’Arpège, par exemple, des tomates en cette saison. Le légume doit être travaillé quand la nature le fournit naturellement car c’est à ce moment là qu’il est à son apogée gustative. Pour l’instant, à L’Arpège, ce sont donc des betteraves, des oignons des choux, des cèpes, des radis,…que le chef décline à l’envie au travers de multiples plats :
- Carpaccio du jardin (radis)
- Feuilles de choux farcies aux cèpes et oignons, émulsion parmigiano reggiano et romarin
- Tarte tatin aux échalotes, mousseline panais et poire
Une autre règle à respecter dans ce style culinaire, et elle est valable pour tout d’ailleurs, est de choisir un produit de qualité. Pour les légumes, rien de mieux que de les cultiver dans ses jardins, dans les règles de l’art, en évitant pollution chimique et en choisissant le terroir le plus adapté à chaque légumes (après des tests poussés). Le légume y bénéficiera de toutes les attentions possibles et imaginables (voir article sur Bois-Giroult) et il sera au final d’une qualité exceptionnelle. J’ai même envie d’écrire plus : il sera unique.
La pureté aromatique
Alain Passard, avec sa cuisine, est plus dans la recherche de la pureté aromatique que dans celle de la démonstration. La technique se met au service du goût et il se dégage des assiettes une sensation d’authenticité et de simplicité. Qui, par exemple, oserait servir un gratin d’oignons confits, parmesan, poivre noir, râpée de cèpes dans une simple assiette à gratiner ? Il faut être sûr de soi pour s’affranchir des codes et des usages et se diriger vers la simplicité. C’est sans doute aussi parce que Alain Passard maîtrise toutes les techniques et tout les gestes (un mot qu’il affectionne particulièrement) qu’il a réussi à épurer sa cuisine.
La cuisine d’Alain Passard est aussi intellectuelle. On réfléchit, on analyse, on fait attention à toutes les subtilités du produit et de ses accords. Ne pas le faire, c’est courir le risque de passer à côté de son repas. C’était d’ailleurs amusant de voir que, lorsqu’un assiette était servie, les sept convives se taisaient et mangeaient en silence, presque religieusement.
L’identité culinaire
Finalement, on peut dire qu’Alain Passard a une cuisine identitaire. Il est l’un des rares chefs au monde à pouvoir donner de l’émotion avec deux légumes, un condiment et deux épices, sans recourir à la facilité d’utiliser des produits comme de la truffe ou de caviar. Chaque plat porte la griffe du chef. C’est sans doute pour cela que Michelin lui a donné trois étoiles: il y a le concept, l’identité, le geste précis et l’aspect minutieux d’aller au fond des choses.
Gault & Millau, en lui conférant la toque d’or, est plus ambigu dans son positionnement. La toque d’or est, pour faire simple, distribuée à un chef qui a eu plus de 17/20 pendant 30 ans et un parcours exceptionnel. Les dix académiciens qui ont reçus cette toque d’or Gault & Millau ne sont dès lors plus notés dans les prochains guides. On aurait un peu l’impression que ce genre de prix s’apparente à une voie de garage dorée, c’est-à-dire à une façon élégante de sortir du guide des adresses trop hautement notées et qu’on ne souhaite pas diminuer. Ca pourrait être, en quelque sorte, la réponse de Gault & Millau à l’histoire Veyrat/Michelin et la façon d’éviter la polémique. Je serais curieux de savoir comment ces dix chefs, dont Alain Passard, voient la chose.
La cuisine d’Alain Passard fait redécouvrir les saveurs des légumes. Cela peut vous transporter sur certains plats. Je le fus sur l’intemporel tartare de betteraves rouges, pickles d’oignon rouge, moutarde qui m’a fait aimé la betterave. Je ne pensais pas que quelqu’un aurait pu y arriver.
Cela ne fonctionne toutefois pas à chaque fois non plus. Il y a des moments où votre désamour pour un produit est si fort que même Alain Passard ne sait rien faire. Cela me fait penser à l’expression : « la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ». En ce qui me concerne, c’est une aversion assez marquée pour la patate douce qui m’a empêché d’apprécier les moules de bouchot, crémeux de patates douces, sabayon au beurre noisette.
Un plat signature de L’Arpège
Le corps à corps de volailles « haute couture » poulet et canard est un plat qui a été inspiré par un ballet où un homme et une femme ne faisaient plus qu’un en dansant. On serait tenté de penser que ce plat est simple car il suffit de couper deux volailles en deux et de les coudre. Sauf qu’il faut, ensuite, que les cuissons soient parfaites, pour l’une et pour l’autre volaille.
Ce fût le cas : un canard rosé et un poulet tendre. Le chef a pris le parti de servir un jus de cuisson brut, sans émulsion ni liaison. C’est un parti pris qui correspond sans doute à la recherche de pureté d’Alain Passard .Dommage toutefois que ce jus était un peu « séché » dans l’assiette et servi en si petite quantité.
Avec ce plat, Alain Passard démontre la citation de Brillat-Savarin : « on devient cuisinier mais on naît rôtisseur ». D’ailleurs, pour ceux qui le suivent sur Instragram, vous verrez qu’il n’hésite pas à cuire une cage de bœuf entière dans sa cheminée. Cela nécessite une découpe particulière chez le boucher et une grande maîtrise du feu. On est loin de la cuisson hyper-facile et calibrée, celle à basse température avec sonde de cuisson.
Il n’y a pas que des légumes à l’Arpège
Il fût un temps, heureusement révolu, où Alain Passard ne travaillait que les légumes. On pourrait faire un repas complet à base des légumes d’Alain Passard, préparés par Alain Passard. Ce faisant, on n’aurait pas l’impression de manger « light », de faire régime ou de manger des plats insipides. On redécouvrirait des saveurs oubliées, le vrai goût d’un légume d’exception en plein dans sa saison et on pourrait tomber amoureux de certains légumes.
Mais, on a quand même plaisir à passer à un moment donné sur un poisson et/ou une viande. Ici aussi Alain Passard sait travailler des produits d’exceptions, comme cette sole grillée au Côtes du Jura, pomme de terre fumée. Vu la taille du morceau, il s’agit assurément de belles soles d’au moins un kilo, soit des pièces rares.
Les champagnes à L’Arpège
Etant un peu en avance pour le repas, l’idée d’un apéritif au Georges V s’est invitée. Le cadre de ce palace est splendide et impressionnant. Le mot luxe prend une nouvelle dimension quand on entre dans le hall et que le rouge vif des centaines de roses (en fleurs coupées bien évidemment) émerveille.
Bien installé au bar, un champagne semblait une bonne idée bien que la carte du bar du Georges V s’est vite avérée décevante. On n’y trouvait que des champagnes de grandes maisons, que je qualifie de bons champagnes sans grande personnalité. Ce fût donc, puisqu’il fallait choisir entre le marteau et l’enclume, un Premier Cru Roederer (facturé à 140 euros, pour une bouteille qu’on trouve dans les 37 euros chez les cavistes, soit un coéfficient encore « raisonnable » pour un palace parisien)
La comparaison avec le champagne de L’Arpège, une heure plus tard, fût incroyable. Autant le champagne du Georges V était sans grand intérêt, autant le Bérêche Le Cran 2011 Extra-Brut, dégorgé en 2018 et aéré était splendide : un vin vineux et dense….un vrai vin de caractère et de vigneron (210 euros à la carte).
La cave à vin de L’Arpège
L’Arpège dispose d’un petit trésor de guerre : 17 000 bouteilles dont 6 000 environ stockées au restaurant (problème de place obligeant, le reste est stocké ailleurs). Les plus belles bouteilles ne figurent pas à la carte. Elles vieillissent à leur rythme et sont servies à discrétion sur demande.
On note une belle sélection de vins au verre.
Les premiers prix sont à 60 euros la bouteille, un phénomène quasiment jamais vu dans un trois étoiles parisien.
Et, bien entendu, ceux qui veulent se faire plaisir trouvent de quoi faire.
Le coefficient multiplicateur des prix est bon. Je ne parle évidemment pas des raretés ci-dessous, juste prises en photo pour faire rêver les oenophiles qui me lisent, mais j’estime qu’il doit tourner autour d’un X4 en moyenne, ce qui est excellent puisqu’on parle d’un restaurant trois étoiles Michelin à Paris.
Le sommelier de l’Arpège
En règle général, je choisis mes bouteilles en fonction de mon budget du jour et de mes envies. Si le sommelier m’inspire confiance, je lui demande éventuellement un conseil en expliquant bien ce que je recherche, ce que j’aime et ce que je ne souhaite pas. Mais, quand je vais dans un trois étoiles Michelin où le sommelier est plus que probablement un des meilleurs de la progression, j’ai envie d’autre chose. Je souhaite qu’il me fasse découvrir ses coups de coeur, les pépites qu’il a rencontrées sans pour autant avoir explosé le budget.
Le sommelier de L’Arpège m’avait déjà ravi sur son choix de Champagne. Il m’a également fait plaisir avec ce magnum riesling Grand Cru Pfinstberg Zusslin 2013, un vin parfaitement à maturité (que je qualifierais, pour le riesling d’Alsace, de moment où le vin est riche sans exprimer trop fortement la minéralité et ses arômes « pétrolés »).
Et puis, la bonne surprise que j’ai reconnue à l’aveugle, est venue avec mon Sancerre rouge favori : la cuvée Charlouise 2016 du domaine Vincent Pinard. Celui qui pense encore qu’on ne fait que des grands pinots noirs en Bourgogne n’a jamais gouté celui-ci.
Le challenge de travailler à L’Arpège
Sommelier n’est pas un métier facile. Et il l’est encore moins à L’Arpège. Alain Passard est un chef instinctif et malicieux. Notre sommelier avait donc servi ce Sancerre rouge en prévision du corps à corps de volaille qui devait arriver. Et c’était un bel accord. Mais Alain Passard nous avait réservé, à lui comme à son sommelier, une surprise : une sole avec une émulsion à base de côte du Jura. Et là, c’est tout le plan du sommelier qui tombe à l’eau car un rouge avec ce plat, c’est impossible vu la note oxydative de la sauce. Nous sommes donc, nous aussi, passé à l’eau pour déguster ce plat surprise.
Enfin le sommelier sort des sentiers battus. Avec la célèbre tarte aux pommes Bouquet de roses (c) aux dragées d’Alsace, caramel lacté (on note au passage le signe du copyright dans l’intitulé), que demander de mieux qu’une boisson aromatique et pétillante à base de pommes ? Un cidre semble tout indiqué. Non seulement c’est intelligent car l’accord est parfait mais, en plus, le prix plancher d’un cidre permet de dégager du budget à mettre sur les autres bouteilles.
Conclusions
La cuisine d’Alain Passard à L’Arpège est une cuisine identitaire centrée sur la pureté aromatique et végétale. Il y a même, sur certains plat, un copyright avec brevet déposé. Alain Passard est plus qu’un cuisinier, c’est un artiste pluridisciplinaire.
Il expose pas très loin de l’Arpège, dans une petite galerie d’art.
Les menus de l’Arpège ont un certain prix : celui de l’exception, celui de ce qui se fait de mieux dans le monde. Mais, il y a une astuce : le « lunch » du midi à 175 euros. Car Alain Passard est d’une grande générosité et, même à ce prix là, on déguste une douzaine d’assiettes.
Si vous aviez encore le moindre doute, je vais vous l’ôter : vous ressortirez de l’Arpège repu et celui qui parviendra encore à souper après son dîner (traduction pour les Français : celui qui parviendra encore à dîner après son déjeuner) est un fameux gourmand. En ce qui me concerne, ce fût impossible.
Manger à l’Arpège vous plonge dans un monde végétal et vous fait découvrir la pureté et le plaisir des légumes. C’est une expérience à faire, si possible quatre fois. Car, la cuisine de l’Arpège est une cuisine de saison et y déguster ce que chaque saison donne de meilleur est la seule façon d’en faire le tour. C’est aussi une cuisine intellectuelle qui requiert de la concentration pour analyser les subtilités et les ultimes finesses que le chef Alain Passard a voulu y mettre. Et, si vous en avez l’occasion, mangez aussi à Bois-Giroult !
Lien vers le site web de l’Arpège
Le menu d’Alain Passard ce midi à l’Arpège
Mises en bouche autour de trois tartelettes :
- carottes et patates douces (jaune).
- panais et céleri (verte)
- betterave (rouge)
Trilogie de raviole potagères au consommé végétal au céleri et romarin
Chaud-froid d’oeuf à la coque au sirop d’érable de Saint Elzéar, ciboulette
Sushi légumier (betterave) au parfum de feuilles de figuier, riz Tsuyahime du Japon, caramel de betterave
Carpaccio du jardin
Velouté automnal de butternut au speck de la ferme de Grunbach
Gratin d’oignons confits, parmesan, poivre noir, râpée de cèpes
Moules de bouchot, crémeux de patates douces, sabayon au beurre noisette
Feuilles de choux farcies aux cèpes et oignons, émulsion parmigiano reggiano et romarin
Corps à corps de volailles « haute couture » poulet et canard
Tartare de betteraves rouges, pickles d’oignon rouge, moutarde
Tarte tatin aux échalotes, mousseline panais et poire
Poireau Atlenta et poires rôties, châtaignes des Cévennes, carpaccio de cèpes
Sole grillée au Côtes du Jura, pomme de terre fumée
Corps à corps de volailles « haute couture » poulet et canard
Mignardises
Tarte aux pommes Bouquet de roses (c) aux dragées d’Alsace, caramel lacté
Le dernier dessert
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