Restaurant La Plage D’Amée avec Julien Wauthier – Maison Gersdorff.
La télévision a toujours fonctionné sur base de scénarios. C’est devenu encore plus vrai avec les émissions de téléréalité.
J’ai eu, il y a quelques années déjà, l’occasion de lire des passages du contrat d’anciens candidats Top Chef. Il y est clairement stipulé que la production peut monter les images filmées dans l’ordre qui lui convient. Ce faisant, la production s’offre donc (et use ensuite de) la possibilité d’inclure des scènes tournées à plusieurs semaines d’intervalles en les faisant apparaître comme se succédant dans une histoire pré-conçue. On fait dire ce qu’on veut, quand on veut aux candidats. La production leur façonne une image : il y a les gentils, le mauvais, le guignol (de préférence un non français évidemment), le gars qui se cherche, le chef qui a déjà son étoile Michelin (et qu’on se gardera, par respect, d’éliminer trop vite),….
Le Top Chef à la Plage d’Amée
Un candidat Top Chef ne m’intéresse donc pas en soi : ce que j’aurais pu en voir à la télévision ne reflèterait de toute façon pas qui il est vraiment. M’afficher en photo avec le type de la télé n’est pas vraiment un de mes objectifs non plus. Je n’avais donc jamais mangé à la Plage d’Amée et ce n’est que lorsque Michelin lui a décerné sa première étoile en novembre 2018 (ndlr: qu’il a enlevée au guide 2022) que je me suis décidé à partir naviguer dans ce coin là près de Namur.
Julien Wauthier, chef de la Plage d’Amée
Julien Wauthier, le candidat Top Chef saison 8 et chef de la Plage d’Amée, n’a pas volé son étoile. Il a une cuisine qui est technique et, surtout, techniquement maîtrisée. Sur les huit plats dégustés, je n’ai relevé aucune erreur : tout était parfaitement cuit et assaisonné de façon constante (même j aurais préféré un peu plus).
Les produits sont travaillés et il y a un beau jeu de textures sur chaque plat, le chef s’autorisant même quelques techniques moléculaires (un terme, qui fût fort à la mode mais qui est presque devenu une grossièreté maintenant). Le moléculaire pour le moléculaire ne fait pas de sens mais apporter une sphérification, à l’occasion, procure une touche dépaysante dans l’expérience globale comme Julien l’a bien fait sur cette mise en bouche.
A la plage d’Amée, le chef ne tombe pas dans le consensuel avec ses compositions: il développe ses accords osant user d’épices ou d’associations non conventionnelles. Je pense notamment au sorbet au fromage blanc et huile d’olive servi avec de la truffe noire de Montmirail. C’est un plat qui déroute un peu le palais, notamment par son aspect légèrement sucré associé à la truffe. Mais cette composition réussit le challenge d’extraire les arômes de truffe et de le faire ressortir. Un peu comme si l’huile d’olive et le fromage blanc du sorbet avaient capté l’essence aromatique de la truffe pour la restituer en plus concentré.
Qualité et quantité, les deux maître-mots à la Plage d’Amée
Un autre point fort de la cuisine de la Plage d’Amée, c’est le dessert en trompe l’oeil, intitulé « Ceci n’est pas un citron ». Le rendu visuel est bluffant et le contenu, à base de baba au rhum, est réussi.
Les quantités, dans les assiettes sont là. Les portions sont incroyablement généreuses et les prix restent hyper attractifs. Cela fait de la Plage d’Amée un des meilleurs rapports qualité-prix parmi les restaurants étoilés. Par exemple cette entrée, l’huître de Bretagne perlée (22 euros), est servie avec plusieurs grammes de caviar Shrenki. Julien Wauthier ne sert donc pas l’ersatz avruga bas de gamme mais un beau caviar dont le goût ne trompe pas et dans une quantité telle qu’elle fait la différence en terme de goût. Le caviar est en effet, bien trop souvent, utilisé pour impressionner de par son nom plutôt que pour le côté iodé qu’il apporte quand il est servi en bonne quantité.
Michelin, les étoiles et la Plage d’Amée
On me demande parfois, souvent même pour être honnête, pourquoi un restaurant n’a qu’une étoile Michelin. La réponse est toujours la même : parce qu’il peut encore faire mieux en évoluant. Michelin est un peu le Pokemon de la gastronomie et il faut évoluer pour passer au stade suivant.
A la Plage d’Amée, le service (souriant et aimable) peut encore se professionnaliser un peu. La carte des vins, qui vient de faire un beau bond qualitatif avec l’entrée de plusieurs références de la maison Poulet, pourra encore s’étoffer.
Pour les assiettes de Julien, je pense qu’elles pourraient se montrer plus explosives. Pour emprunter un terme que les oenophiles connaissent bien : j’aimerais y retrouver plus de tension. Il y manque, pour monter d’un cran, ce peps qui est la marque des grands. Un Christophe Hardiquest (restaurant BonBon 2*) vous envoie un feu d’artifice à chaque bouchée en dosant savamment le Yuzu par exemple. Un Arnaud Lallement (restaurant L’Assiette Champenoise 3*) vous amène une acidité qui rehausse ses langoustines par l’usage de citron-caviar. Un David Martin (restaurant La Paix 2*) maîtrise les techniques japonaises pour faire ressortir la tension dans ses plats. Les plats de Julien sont bons, vraiment bons et pas chers ! Mais, même quand il use de citron ou d’accompagnements vinaigrés, je n’y retrouve pas cette concentration, cette tension et cette explosivité qui est souvent en filigrane d’un grand plat.
Conclusions
Chaque année, Michelin sort l’adresse « Buzz » : celle que personne ne comprend mais qui rappelle que c’est Michelin qui dicte la tendance et que personne ne la dicte à Michelin. Assurément, la Plage d’Amée n’est pas celle du guide 2019.
La Plage d’Amée, c’est de la technique, de la constance, du produit, de belles portions et des prix très contenus par rapport à la qualité. On ne va plus manger à la Plage d’Amée pour faire un selfie avec le top chef. On y va plutôt pour ce que Julien Wauthier y cuisine. Ajouté à cela une terrasse qui semble extra-ordinaire pour l’été et une carte des vins qui prend la bonne direction (avec notamment de chouette petit vins au verre à 6 euros et un classique X3 dans les prix), la Plage d’Amée ne pouvait que recevoir son précieux macaron, c’est indéniable.
Lien vers le site web de la Plage d’Amée
Les plats dégustés à la Plage d’Amée
Les mises en bouche
L’huître de Bretagne perlée, pomme, concombre, citron, caviar, thé matcha
Oeuf O Zen, crevettes grises décortiquées main par nos soins, tombée d’épinards, mousseline
Pâtes fraîches à la truffe, émulsion de champignons de Paris fumés, pecorino
Foie gras poêlé, figues aux épices millésimées 2017, citron confit, fenouil, coing, poivre du Népal
Sorbet de fromage blanc et truffe noire de Montmirail
Sandre, pomme de terre, poireaux, croustillant d’anguille fumée
Suprême de canette de Challans laqué aux épices, polenta, oignon rouge farcis des cuisses confites, réglisse
Ceci n’est pas un citron
Soufflé au grand Marnier, crème glacée à la fève de Tonka
Tarte au citron
Laisser un commentaire