Restaurant La Paix à Anderlecht (Bruxelles) par David Martin
La brasserie La Paix a longtemps proposé à sa carte des plats de brasserie centrés autour de belles viandes. Et cela faisait sens vu que le restaurant est situé juste en face des abattoirs d’Anderlecht.
Mais ça, c’était avant. Maintenant, on peut encore difficilement accoler le terme de brasserie à la cuisine de La Paix.
La Paix, tout un symbole qui se retrouve dans le cadre
Le restaurant La Paix n’a jamais aussi bien porté son nom. On y ressent un sentiment de plénitude et de calme, à l’image de la nuée de colombes qui volent au plafond.
Les tables sont bien espacées, confortables et dressées avec une jolie nappe. On n’est pas à l’étroit et on peut parler à son aise. Mais le restaurant La Paix ne renie pas non plus ni ses origines ni son âme: il y a des choses qui ne bougent pas, que le chef ne veut pas bouger et qu’il a bien raison de ne pas bouger comme par exemple les anciens guichets de banque et le comptoir avec ses pompes à bière.
Le service et la carte des vins à La Paix
En salle, on trouve Fabio. Cela fait déjà quelques années qu’il officie à La Paix et il a vraiment trouvé sa place. Son service est précis et stylé.
Pour la carte des vins, que dire ? Dès que je vois mon vin fétiche, le clos Rougeard, je ne parviens plus à lire le reste. Il y a tout d’abord le Clos Rougeard rouge (avec, chance pour moi, cette dernière bouteille de 2009).
Et il y a aussi le Brézé blanc, mon vin préféré. C’est dire si je ne peux m’empêcher de le commander quand j’ai le rare privilège de le voir pointer le bout de son nez sur une carte.
Plus sérieusement, je pense que la carte des vins n’est pas la première priorité du restaurant. Elle est bien, juste bien, avec des belles sélections de bons cavistes bruxellois. On trouvera donc, entre autre, une sélection précise de biodynamique et nature de chez Basin et Marot ou encore les pépites de Gérard Garroy de la maison Bernard Poulet.
Les coefficients multiplicateurs restent classiques et raisonnables (autour de X3).
A noter : des premières bouteilles à 35 euros, ce qui est un bon prix d’entrée pour un restaurant du niveau de La Paix.
Les produits exceptionnels à La Paix
Un grand repas, cela commence avec des grands produits. Je sais qu’il y en a qui ne partagent pas cette vision et qui préfèreront être surpris par une nouvelle épice ou une déstructuration jouant sur des textures ou encore par un dressage artistique.
Mais, je n’en démords pas : la grande cuisine ce n’est pas cela. La grande cuisine doit mettre en avant, de façon respectueuse, les plus beaux produits en les sublimant. La Paix figure dans mes restaurants favoris parce que les produits d’exception sont au coeur de sa cuisine. Voici d’ailleurs quatre exemples bien concrets.
1. Du turbot.
Je ne l’ai pas mangé cette fois ci mais je me souviens encore de cet immense turbot hors norme (10,5 kg). On n’est pas ici dans le beau produit ni dans le grand produit. On est ici dans l’exceptionnel et dans le hors-catégorie.
Crédit photo : page Facebook de David Martin
2. Du wagyu.
Pour la viande, même constat. La race de boeuf la plus réputée au monde est le wagyu. David Martin travaille, dans son menu actuel, du numéro 10. Ce numéro caractérise en fait le persillage : plus le numéro est élevé, plus le persillage sera intense.
3. Du king crabe vivant.
Du turbot, du wagyu,….on en trouve à plusieurs endroits seriez-vous tenté de me dire ? Mais du king crabe vivant, est-ce que vous connaissez ? Car c’est, à ma connaissance, unique sur le territoire belge et cela constitue donc une exclusivité de La Paix.
Même la télévision japonaise s’en est émue et a fait le déplacement jusqu’au restaurant La Paix pour filmer le fameux vivier.
Crédit photo : page Facebook de David Martin
4. Le meilleur Ponzu du monde.
Comme autre grand produit, le restaurant La Paix propose les rarissimes ponzus de monsieur Sato. Pour bien comprendre la rareté de ce ponzu, il faut savoir que Monsieur Sato n’en produit que 700 bouteilles. Il prend grand soin lors du ramassage de ses agrumes (Yukon et Zabon) en janvier. Il laisse les fruits sous l’arbre jusqu’à la remontée des températures vers 10° et puis les affine en cave jusqu’à obtention de la pourriture noble. Le ponzu est ensuite encore affiné six mois supplémentaires. Monsieur Sato se fait un point d’honneur à livrer personnellement ses clients.
Crédit photo : page Facebook de David Martin
David Martin et l’influence japonaise à La Paix
Une des particularités bien marquées de la cuisine de La Paix, c’est l’intégration de la culture japonaise. Qu’on se comprenne bien : on ne parle pas ici d’ajouter un peu de sauce soja, du wasabi ou de faire un maki revisité.
Non : on parle ici d’un travail de recherche et de compréhension des fondements de la culture japonaise. David Martin se rend d’ailleurs régulièrement sur place, changeant de région à chaque voyage pour cerner les différences. Une fois toutes ces notions intégrées et digérées, il les re-transpose dans sa cuisine en y ajoutant ses autres inspirations et les produits remarquables qu’il a dénichés.
Voici quelques exemples de l’intégration de cette culture japonaise.
1. Yakiniku
On parlera, à La Paix, de grill yakiniku. C’est un grill japonais (en bas à droite sur la photo) que le chef utilise pour plusieurs plats notamment la cuisson du wagyu.
Pour éviter que le gras ne coule sur le gril utilisé et ne génère dès lors la fumée et des flammes, le morceau de wagyu a été préparé pour retirer un maximum de gras. L’entrecôte s’est donc transformée en trois beaux morceaux. Cela permet, en plus, d’avoir une cuisson sur mesure pour chacun (chaque morceau nécessitant un temps de cuisson différencié).
2. Nukazuke
Le nukazuke est une technique de fermentation des légumes à base de son de riz. A La Paix, cette fermentation se fait dans un petit tonneau durant un mois environ. Comparé à des fermentations plus traditionnelles (comme celles faites en Corée), on ne met pas de sel et cela se fait à sec. Au final on obtient une saveur umami naturelle bien différente de la saveur lactique que l’on a l’habitude de goûter.
3. Umami
L’umami est la cinquième saveur après le sucré, le salé, l’amer et l’acide. C’est une notion qui n’est pas facilement explicable. La meilleure illustration me semble être celle du parmesan. Une fois qu’on en mange, la bouche est remplie de cette impression de « délicieux » et il y a cette irrésistible envie d’un revenir.
L’umami est présente dans beaucoup des plats de La Paix. Mais là où elle fût la plus emblématique, ce fût sur cette Saint-Jacques, champignons de Cureghem (une variété de Shitake dont les spores viennent du Japon) et chicon.
Le chef David Martin a cherché à concentrer l’umami et quelle claque j’ai pris sur ce plat ! C’est le plus grand plat que j’aie mangé cette année ! Le bonheur parfait !!!
Un de secrets de fabrication : l’utilisation des bardes de Saint-Jacques, séchées pour concentrer le goût et puis utilisées comme base avec du kombu pour faire le bouillon.
4. Shio-Koji
Je ne l’ai pas dégustée cette fois-ci mais je me souviens encore de la volaille de Bresse « Shio-koji » rôtie au feu à bois, émulsion de pomme de terre aux algues, sélection de légumes de saison du jardin du chef.
Lorsqu’on fabrique le saké, le riz est poli (parfois jusqu’à 70%) pour ne garder que le cœur d’amidon. Ce coeur est cuit à la vapeur et puis ensemencé par des champignons microscopiques (qu’on appelle le Koji). On obtient donc le Shio-Koji, c’est-à-dire le riz fermenté. La levure fait son oeuvre en transformant le sucre en alcool et la fermentation s’arrête quand on atteint un certain équilibre sucre-alcool. C’est quand le produit est à ce stade là qu’on l’utilise pour enrober les ingrédients. C’est en fait l’application d’une ancienne technique de conservation du poisson au Japon (surtout à Kyoto).
Japonais mais pas que…
Réduire la cuisine de La Paix à de la cuisine japonaise serait une grave erreur. J’aurais plutôt tendance à parler de « fusion ». Je n’aime pas ce terme qui est si souvent galvaudé qu’il en est limite grossier. Mais ce terme convient bien à La Paix : David Martin lui a en effet redonné toute ses lettres de noblesse en fusionnant de la plus belle manière qui soit la technique japonaise avec les beaux et grands produits de Belgique (chicons, champignons de Cureghem,…) et d’Europe.
La technique à La Paix
Les assiettes de La Paix peuvent paraître simples de prime abord. Je pense que là aussi se trouve un des fondements de la culture japonaise : un minimalisme exacerbé dans l’apparence. Mais ces assiettes ne sont que la pointe visible de l’iceberg. Il y a, derrière chaque composition de La Paix, un véritable travail : un travail de recherche et puis un travail, long et fastidieux, de réalisation en cuisine. Car à La Paix, les cuissons sont minute.
Le Saint-Pierre en feuille de vigne
Quand on cuit du Saint-Pierre, il est très difficile d’en préserver toutes les saveurs et notamment les saveurs d’algues (certains appellent d’ailleurs ces poissons des poissons « verts »). D’où l’idée de le cuire emballé dans des feuilles de vigne pour que la cuisson soit douce et à l’étouffée. Les feuilles de vignes ont été au préalable salées et constituent de ce fait là un assaisonnement tout naturel.
Au final, la peau, très fine et si difficile à détacher à cru, se retire très aisément car elle s’est collée aux feuilles de vignes. Des arômes incroyables se dégagent du plat, des arômes qu’on ne peut obtenir qu’en concentrant et en préservant le goût avec une telle technique.
Le Saint-Pierre, fin prêt, est servi avec un délicieux jus de déglaçage (comme pour un perdreau), du jus de la tête et un peu d’huile de laurier. Quel régal !
Le homard bleu breton cuit « bleu »
Le homard bleu breton, du vivier, est cuit rapidement à basse température dans un bain d’huile. Le but est d’avoir la cuisson minimale possible. En pratique, on s’arrêtera lorsque le homard commence à rosir mais bien avant qu’il ne perde sa couleur bleue. D’où le nom de homard bleu cuit « bleu ».
Les différents morceaux sont servis séparément. Et on comprend pourquoi en dégustant : les goûts sont totalement distincts. En particulier le bout de la pince (qui est, hélas, souvent servi trop cuit et donc avec une texture plâtreuse) est incroyable. Une puissance iodée que je ne soupçonnais pas et que je n’avais jamais pu apprécier car personne ne la sert jamais comme cela. La texture, un peu molle, est également exceptionnelle.
Une sauce est également préparée à base de carcasses de homard (carcasses fumées au préalable), des têtes mixées, de dashi et montée à la dernière minute comme une anglaise. On est dans la plus grande pureté car rien d’autre, même pas un liant, n’est ajouté. Au final, La Paix vous propose donc du homard bleu breton, cuit « bleu » sauce au homard. On sent ici tout le travail de l’artiste : il y a eu de la réflexion et des essais multiples pour aboutir au résultat escompté. Et on comprend pourquoi la brigade, bien staffée, se limite à vingt couverts par service.
L’addition à La Paix.
L’addition, il ne faut même pas en parler. C’est secondaire, tertiaire, quaternaire,….bref on s’en moque. Un repas à ce niveau-là, cela n’a pas de prix. Mais bon, on doit tous faire avec un budget. Donc parlons en rapidemment.
Les menus restent hyper raisonnables en terme de prix :
Il y a pas mal de restaurants deux étoiles où on mange moins bien qu’à La Paix et où les menus sont 50%, voir 100%, plus chers.
C’est donc doublement l’occasion d’en profiter. Parce que cela ne va pas durer. Quand de nouvelles récompenses s’accumuleront, je pense que le chef poussera encore plus loin ses limites. Cela nécessitera des frais supplémentaires (sur les produits et/ou sur la main d’oeuvre), cela conduira à une expérience encore plus dingue….mais on entrera aussi dans une autre catégorie budgétaire.
La Paix, le restaurant d’un génie
David Martin a sa marque de fabrique, son empreinte, son style. C’est le propre des grands : créer en restant soi-même, sans copier ce qui se fait ailleurs. Il délivre des assiettes épurées, un dressage millimétré et une lisibilité transcendante dans les compositions. Mais là où cela devient encore plus intéressant, c’est que le chef a conservé la gourmandise qui fait la force de la cuisine de qualité avec entre autre des jus « umamis » nets et puissants qui donnent la structure du plat.
Il y a du génie chez David Martin de La Paix. Un génie indéniable. Comme tous les génies, il a sa part d’incompréhension. J’avoue qu’il m’a fallu longtemps et qu’il me faut encore ses explications pour comprendre certains plats. Mais un sentiment profond m’habite lorsque mon palais m’interpelle : cette sensation forte qu’il y a du grand art là-derrière.
En conclusion
J’ai l’impression que David Martin est totalement en avance sur son temps. Un peu comme Einstein et sa théorie de la relativité (au moment où il l’a expliquée, il n’y avait pas cinq personnes dans le monde qui pouvaient la comprendre).
Le restaurant La Paix propose une cuisine à ne pas mettre dans tous les palais. Pour bien en saisir toutes les subtilités et pour en apprécier les nuances, il faut en effet connaître l’histoire du chef, appréhender sa passion de la culture japonaise et surtout le faire parler de ses préparations. Ce n’est qu’une fois ces critères réunis que l’on comprend la grandeur de l’artiste et qu’on s’agenouille humblement devant un repas qui vous dépasse, qui vous élève et qui vous transporte.
On mange à La Paix comme on ne mange nulle part ailleurs. Ce que David Martin sert est unique. Bien peu de cuisiniers peuvent en dire autant. L’identité et la créativité ne sont pas des concepts vaguement auto-appropriés. La cuisine de La Paix est leur incarnation.
David Martin me donne aussi, à titre personnel, une leçon d’humilité. Il fût un temps où je suis passé complètement à côté de sa cuisine. Elle n’était certes pas au niveau de celle proposée maintenant mais le virage pris me semblait obscur et illisible. Comme quoi, il ne faut jamais juger et écrire trop vite.
Décidemment la page « Brasserie » est définitivement fermée à La Paix et les foodies comme moi ne s’en plaindront jamais ! Ce repas est un des plus beaux moments gastronomiques qu’il m’ait été donné de vivre. Et oui, rien que ça ! Bravo David Martin ! Vive La Paix !
Lien vers le site Web de La Paix
Localisation du restaurant La Paix
MENU
Mise en bouche : Rillette de maquereau et pistache, poudre de livèche
Mise en bouche : huitre Gillardeau, champignons, gratinée de pain au levain
Saint-Jacques cuite sur un gril yakiniku, champignons de Cureghem, chicons nukazuke
Bottarga de caviar oscietre
Pastrami de veau de lait de Corrèze, parmesan, bottarga de caviar osciètre
Homard bleu breton « cuit bleu », jus tête et corail
Saint-Pierre en feuille de vignes, chou-fleur
Chou-fleur
Wagyu n°10, chou, pommes soufflées. Le Wagyu est servi accompagné d’un condiment saké-daïkon comme on le mange à Tokyo. Pour terminer, un morceau de plat de côtes cuit comme un pot-au-feu et repassé lui aussi au gril. La touche finale est apportés par les pommes soufflées, ce qui peut paraître simple mais s’avère en fait excessivement technique.
Feuilletage inversé miso, vanille
Mignardises
Mignardises
PHOTOS
D’AUTRES REPAS A La Paix
02/11/2017: https://www.passiongastronomie.be/2017/11/restaurant-lapaix-bruxelles/
22/06/2016: https://www.passiongastronomie.be/2016/06/brasserie-lapaix-anderlecht-david-martin/
12/01/2016: https://www.passiongastronomie.be/2016/01/brasserie-la-paix-a-anderlecht/
21/08/2013: https://www.passiongastronomie.be/2013/08/la-paix